Réparation des égouts, remplacement des pavés du trottoir, rénovation des façades et des entrées des magasins.
Des barrières jaunes et bleues parsèment l’espace de cette rue, rétrécissent le passage.
Elles interrompent et fragmentent le mouvement de ceux et celles qui viennent acheter, consommer, attiré·e·s par les grandes chaînes internationales et les hamburgers des fast-foods.
Beaucoup de personnes viennent ici faire la manche. 1
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La nuit, le paysage de la rue se transforme.
La cloche de l’église sonne sept fois.
Trois ou quatre personnes attendent près d’un banc où elles ont déposé leurs affaires – des couvertures, des matelas roulés, des valises. Quelqu’un reste sur place les surveiller.
Les autres commencent à ramasser les cartons que les commerçant·e·s ont laissés devant l’entrée des magasins.
Un tri est fait en fonction de la dimension, de l’épaisseur et de l’état général du matériel.
Ils les traînent sous l’auvent d’un centre commercial.
Commence alors un travail de remontage des caisses.
Empilées, elles forment une paroi, assez haute.
Elle sépare l’espace habité du reste de la rue.
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Chiara et Andrea ont documenté tout cela. 2
« B_Home » est le titre de leur documentaire.
Il fait partie de « B_City. At the margins of a public space » (Belgique, 29’, 2018)
Le lendemain matin, le passage des véhicules de nettoyage des rues marque le réveil, vers 6 h.
Les opérations de démontage démarrent.
Les cartons sont repliés et assemblés au coin de la rue. Ils seront emportés par le service de ramassage.
Les valises sont refaites, les matelas roulés à nouveau.
Cette routine se répétera chaque soir et chaque matin, jusqu’au moment où, quelques mois plus tard, la façade du centre commercial sera rénovée et l’auvent démoli.
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© Elisabetta Rosa
Michael Rakowitz conçoit et construit depuis les années 1990 des abris de fortune pour et avec des personnes sans-abri.
Chaque ParaSite est assemblé à partir de matériaux simples et pas chers : sacs-poubelle, sacs en plastique et scotch d’emballage imperméable. Il revient au prix de 5 euros.
Sa forme s’apparente à une tente gonflable. On l’accroche aux bouches d’aération d’immeubles afin de récupérer l’air chaud ou frais.
Chaque ParaSite est différent. Son projet est conçu avec la personne qui l’habitera.
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Michael Rakowitz et al., « ParaSite »
Lois Ascher MICHAEL RAKOWITZ Shigeru Ban Architects Enorme Studio Studio Lucy Orta Graft RINTALA EGGERTSSON ARCHITECTS Andres Jaque Architects Wooster Collective Brad Downey Space Invaders Aske Jonatan Kreilgaard, SuperxMag Aram Bartholl Javier de Paz García Nadine Labedade Miguel de Guzmán. (CC BY 2.5)
Joe H. using his paraSITE shelter in February 2000. Joe is a homeless man who lived on the streets near Battery Park City in Manhattan. In the 1970s, he became a contractor and was responsible for building over fifteen buildings in Brooklyn. He was diagnosed with cancer in the 1980s after being exposed to Agent Orange while serving in the Air Force in Vietnam. After forty-seven different operations to treat the cancer, the Veteran’s Association of America ceased paying his medical bills and he went bankrupt.3
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Michael Rakowitz et al.,« ParaSite »
Lois Ascher MICHAEL RAKOWITZ Shigeru Ban Architects Enorme Studio Studio Lucy Orta Graft RINTALA EGGERTSSON ARCHITECTS Andres Jaque Architects Wooster Collective Brad DowneySpace Invaders Aske Jonatan Kreilgaard, Superx MagAram BarthollJavier de Paz García Nadine Labedade Miguel de Guzmán. (CC BY 2.5)
Bill S.’s paraSITE shelter. He requested as many windows as possible, because ‘homeless people don’t have privacy issues, but they do have security issues. We want to see potential attackers, we want to be visible to the public.’ Six windows are placed at eye level for when Bill is seated and six smaller windows for when Bill is reclining. 4
En parcourant la rue Neuve d’une extrémité à l’autre, on s’aperçoit que d’autres personnes ont agencé leurs abris.
Chantiers et cartons.
Ce paysage s’accroche aux échafaudages et s’entremêle à la transparence horizontale des vitrines qui restent illuminées tout au long de la nuit.
ÉCHAFAUDAGE
subst. masc.7
A. – Rare. Action d’élever, de dresser un échafaudage […]
B. – Résultat de cette action
1. Construction provisoire, fixe ou mobile, dont les planchers supportent à une certaine hauteur du sol les ouvriers et les matériaux dans l’édification, la réparation, la peinture ou la décoration des bâtiments […]
– Par analogie. Échafaudage de + subst. au pluriel. Superposition ordonnée mais complexe d’éléments différents […]
2. Par extension, familier, souvent péjoratif. Entassement inorganisé ou instable d’éléments. […]
Échafaudage D’un Souvenir est le titre d’une installation que Lionel Sabatté a réalisée à partir de deux sculptures, d’un arbre et d’un animal.
L’arbre est un olivier mort en 1954. Cette année-là, l’abbé Pierre s’était mobilisé en faveur des personnes sans-abri et des habitants d’abris de fortune.
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Lionel Sabatté, « Échafaudage d’un souvenir », 2016
Lionel Sabatté, Échafaudage D’un Souvenir, 2016. Production Le Parvis Centre D’art Contemporain. Photo © : Alain Alquier. Source : https://www.dca-art.com/oeuvres/echafaudage-dun-souvenir
« Lorsque l’Aigle doré niche sur un arbre, il élève parfois une énorme pile de branchages à laquelle il en ajoute d’autres tous les ans, jusqu’à ce que tout l’échafaudage s’écroule un jour sous son propre poids ».5
Les échafaudages structurent parfois l’habiter des personnes sans-abri.
Cet habiter s’accroche aux échafaudages ; les personnes les utilisent aussi comme étagères pour ranger leurs affaires.
Ou pour dormir à l’étage, se détacher du sol, réduire la visibilité, être moins exposées.
Cet habiter sans-abri devient vertical.
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© Elisabetta Rosa
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© Elisabetta Rosa
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© Elisabetta Rosa
Il y en a qui disent que l’échafaudage, de par son caractère éphémère, représente l’anti-monument.
Le monument stable, ancré, architecturé symbolise la longévité, la permanence et l’immutabilité.
Il y en a qui disent qu’« habiter, ce n’est pas vivre dans des architectures monumentales ; c’est être dans un lien étroit avec notre environnement, être lié physiquement et psychiquement à lui et entretenir avec le monde, les objets et les personnes qui nous entourent un rapport dynamique ».6
Les personnes sans-abri habitent parfois les monuments, parfois les échafaudages.
Parfois des pierres stables, imposantes, (apparemment) immuables. Parfois des tubes d’acier percés par le vent et la lumière.
L’échafaudage est éphémère et vient soutenir (rendre possible) un projet qui donnera à l’architecture une forme définitive. Mais pas à l’habiter des personnes sans-abri.
Les chantiers et les échafaudages donnent à la ville ce caractère d’inachevé. C’est là que les personnes sans-abri se font place.
Ce faire-défaire-refaire répond pourtant, souvent, à des logiques néolibérales – construire, attirer des capitaux, des investisseurs, des citoyenn·e·s riches.
Ce serait naïf de ne pas le garder à l’esprit.