CHANTIERSAGENCEMENTS

Quand on traverse les rues de Bruxelles, que l’on soit visiteur occasionnel ou habitant·e de longue date, on sera toujours impressionné par le nombre de chantiers qui fragmentent, percent, transforment minutieusement la surface de la ville. 

Suivant le fil des chantiers, une des multiples topologies de l’habiter « sans-abri » se dévoile, celle qui s’installe dans les agencements des barrières et des échafaudages et participe ainsi de cette œuvre qui fait et refait la ville en continu.

Bruxelles m’étonne toujours.

Ses rues, ses places, se trottoirs sont parsemés de chantiers. Petits, moins petits, énormes. Ils racontent une ville qui se fait et se refait en continu, jamais satisfaite.

 

Ou peut-être ce faire-défaire-refaire est-il l’expression de la fabrique d’une demeure.

« […] une araignée qui construit sa toile et s’affaire sur elle possède une demeure qui est en même temps un territoire. On peut en dire autant de la taupe. Elle aussi s’est construit une demeure et un territoire, un système régulier de couloirs et de terriers qui s’étend sous terre comme une toile d’araignée ».1

(L’araignée, métaphore multiple).

Jakob von Uexküll,  « Demeure et territoire de la taupe »

Planche extraite de Mondes animaux et monde humain. Source : F. Chevrier, Des territoires, Paris, L’Arachnéen, 2011, p. 14.

L’araignée et la taupe.
Corps, demeure, territoire.
Au-dessus et en dessous.

La surface de la ville est percée par les bennes et les ouvrier·ère·s dont on n’aperçoit que le jaune du casque de protection.

L’épaisseur de cette surface s’étend aussi en hauteur, à travers les échafaudages qui enveloppent les bâtiments.

 

Palomar, le personnage du roman homonyme d’Italo Calvino, disait que « La surface des choses est inépuisable ».

Et aussi que « Le refus de comprendre plus que ce que les pierres nous montrent est peut-être la seule manière possible de manifester du respect pour leur secret ».2

 

La surface est la seule réalité dont on peut faire l’expérience.

Mais la surface n’est pas une simple ligne ou un simple plan. Elle est épaisseur. On peut alors être dans la surface, y rentrer jusqu’à percevoir sa composante la plus petite et la plus insignifiante qui soit.

CHANTIER

subst. masc.5

A. – Ensemble de matériaux servant de support.

1. Usuel, MARITIME, Structure en bois dans la cale de construction, sur laquelle repose la quille du navire en construction et d’où il est lancé […]

Au fig. (Mettre, avoir) en chantier, sur le chantier. (Entreprendre) l’exécution d’un ouvrage ; en cours de réalisation […]

B.Par métonymie

1. Lieu où sont entreposé du bois, du charbon, des matériaux divers […]

2. Terrain sur lequel on procède à des travaux de démolition, de réparation ou de construction […]

© Elisabetta Rosa

© Elisabetta Rosa

© Elisabetta Rosa

Bruxelles, boulevard Anspach, 2018

© Elisabetta Rosa

Faire et défaire la ville, sans cesse.

L’inachevé, c’est une œuvre en continu.

La ville devient.
Le devenir est une condition à la fois spatiale et temporelle.
Ce devenir, il faut l’interroger.

« […] il serait erroné de penser que les changements sont toujours qualitatifs. Ainsi, la variation sur un thème musical n’améliore pas nécessairement le thème lui-même », écrit R. Sennett.3

© Elisabetta Rosa

On peut penser les chantiers comme expression des agencements qui composent la ville, comme manifestation des relations entre plein et vide, matériel et immatériel, permanent et temporaire, réel et virtuel.

AGENCEMENT

subst. masc. 6

[…]

B. – Manière d’arranger, de mettre en ordre […]

Emploi spécifique

1. ARCHIT. Disposition et rapport des différentes parties d’un édifice : l’arrangement, les proportions relatives des divisions d’un plan, d’une façade, d’une décoration […]

2. BEAUX-ARTS. Il signifie particulièrement, en peinture, l’arrangement et la combinaison des groupes dans une composition, des figures d’un même groupe, ou des parties d’une même figure ; l’ajustement des draperies, la disposition des accessoires, et en général de tous les objets qui entrent dans la composition […]

5. LITT., MUS. Combinaison, disposition habile. L’agencement des mots, l’agencement d’une pièce de théâtre, l’agencement d’une pièce harmonique […]

G. Deleuze et F. Guattari, Mille plateaux : Capitalisme et Schizophrénie 2, Paris, Les éditions de Minuit, 1980, p. 9.

G. Deleuze et F. Guattari font de l’agencement un concept central de leur géophilosophie.

Il indique une «symbiosis, where different elements work together rather than individually».4
Beaucoup de chercheurs l’ont par la suite mobilisé en tant que dispositif théorique et analytique pour appréhender l’espace urbain.

 

La ville est un agencement, toujours en devenir, de composantes humaines et non-humaines.

Les chantiers-agencements sont une des expressions du devenir de la ville.

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