BRICO

MAGALIE

Au printemps 2017, elle habitait avec son compagnon devant le Brico, sur le boulevard Anspach, sous l’auvent qui protégeait l’entrée.
Ils avaient placé leurs matelas et leurs valises contre les bacs à fleurs qui signalaient l’entrée du magasin. Ces bacs à fleurs servaient aussi à séparer partiellement l’espace habité du reste du trottoir et des regards extérieurs.

C’était le début des travaux de piétonnisation du boulevard. La circulation automobile était déjà interdite.

Peu de temps après, la façade du Brico a fait l’objet de travaux de rénovation. Un échafaudage a été monté et l’auvent démoli. Magalie et son compagnon ont été obligé·e·s de partir.

 

Ils se sont alors installés un peu plus loin, devant l’entrée du métro.
Le boulevard était en travaux.
Ils utilisaient les barrières du chantier pour se protéger et pour cacher leurs affaires quand ils devaient s’éloigner.

© Elisabetta Rosa

Magalie, je l’ai rencontrée en 2019.

Elle racontait qu’au début de sa vie à la rue, pour se laver, elle utilisait des pompes à eau qu’elle trouvait dans les parkings.

Peut-être, dans le Parking 58. Elle n’a pas précisé.

 

Elle aimait bien le marché de Noël, les lumières, la foule, la musique.

Un jour elle a dit : « on peut encore croire au Père Noël ».

Les chantiers sont comme des blessures.
Le lissage de l’espace – des façades – efface ces blessures et ne laisse pas de cicatrices visibles.

« Ainsi, les traces de la destruction semblent destinées à disparaître, comme si le temps présent […] devait se soumettre à une obligation d’occultation, rendue nécessaire par le jeu mondial des investissements financiers pour la reconstruction. Selon Joseph Nasr, c’est l’éloge de l’amnésie qui triomphe pour rendre la ‘mémoire heureuse’».1

L’auvent, quand Magalie et son compagnon y habitaient, rendait la façade plus épaisse, augmentait la surface de cette peau construite qui marque la limite entre le privé du magasin et le public du boulevard.
Entre l’intimité d’un abri et l’anonymat du passage.

Sa démolition a détruit cette épaisseur, ce passage qui offrait un terrain de rencontre possible.

Brico en 2013, boulevard Anspach

Source : Google Street View

Brico en 2019, boulevard Anspach

Source : Google Street View

Je doute que la démolition de l’auvent ait fait de la mémoire de Magalie une « mémoire heureuse ».

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